Une vision de l’architecture pour tous
Accusé d’encourager la gentrification de Pantin, Bertrand Kern tient d’ailleurs à rester vigilant sur ce point. Il est vrai qu’il bénéficie de l’héritage de Charles Auray, premier maire socialiste de la ville de 1919 à 1938, père d’une politique hygiéniste et instigateur de logements sociaux. Les premières habitations à bon marché, édifiées rue des Pommiers en 1932 par l’architecte Félix Dumail, sont aujourd’hui classées. En 1956, Émile Aillaud crée les Courtillières, un ensemble d’immeubles serpentant sur près d’un kilomètre de long au cœur d’un parc de 4,5 hectares. Sa rénovation, confiée à l’architecte Philippe Vignaut, a été achevée en 2018.
Autre engagement du maire : que toute réalisation neuve comprenne au moins 35 % de logements sociaux. C’est le cas de 21e District, une opération immobilière établie à l’emplacement de l’ancienne usine de l’équipementier automobile Marchal, fermée en 2010 : 249 logements neufs, dont 130 en accession à la propriété, 37 en locatif intermédiaire et 82 en locatif social. Après avoir travaillé sur des logements près des Grands Moulins, celui-ci planche actuellement sur la construction d’un hôtel dans un ancien garage. « Bertrand Kern sait mettre le poing sur la table. Il prône un logement social de qualité partout, insiste sur la lumière naturelle, plafonne les prix, veille aux matériaux utilisés, demande des maquettes grandeur réelle pour que ses équipes puissent tout vérifier. Grâce à cet engagement, nous, les architectes, pouvons aussi nous affirmer un peu plus vis-à-vis des promoteurs », souligne l’architecte Vincent Parreira.
Reconnecter la ville au canal
Quant au canal de l’Ourcq, jadis balafre au cœur de la commune, il est devenu la colonne vertébrale de son renouveau. Au plus fort de la révolution industrielle de Pantin, les usines qui le bordaient étaient des espaces clos tournant le dos au cours d’eau. La réception, les bureaux et la maison du propriétaire ouvraient sur la ville côté rue. Quai de l’Aisne, la rénovation de la manufacture de meubles Frédéric Louis et celle de l’usine de traitement des huiles Stern Sonneborn ont cassé cette logique industrielle. Les façades sur rue ont été préservées et les entrepôts détruits pour faire place à des logements et à des commerces ouverts sur les quais, rendus de nouveau accessibles par des voies traversantes piétonnières et arborées.
« J’ai été séduit par ce bateau échoué, avec ses coursives, ses hauteurs sous plafond, ses ouvertures, raconte le maître d’œuvre en parcourant l’espace vert perché au dernier étage. Ce jardin était une petite folie, comme l’ouverture des patios. Le promoteur enrageait de voir tous ces mètres carrés “perdus”. Mais, comme Mercedes Erra et Rémi Babinet, fondateurs de BETC, avaient une vision précise de ce qu’ils voulaient pour leurs 1 000 employés, il n’a pas trop insisté et s’est concentré sur les 400 logements qui restaient à construire le long du quai ! » À l’intérieur, d’immenses plateaux ouverts où chacun vaque à sa guise sans bureau ni espace attitré, s’oriente grâce à des codes graphiques industriels, se réfugie parfois dans des bulles pour finaliser un projet…
L’architecture comme solution
Sur le quai opposé, la guinguette, autre lieu en vogue, n’est que l’avant-poste d’un projet plus vaste encore : la réhabilitation des halles Pouchard. En 2021, les Grandes-Serres, imaginées par le promoteur Alios, vont radicalement changer la physionomie de ce quartier coincé entre le centre de maintenance de la SNCF, Chanel et la blanchisserie industrielle Elis. Si la réalisation d’un ensemble de 4 000 m² de bureaux est dévolue aux agences Leclercq associés et ECDM, la reconversion de la Grande Halle a été confiée à Moatti-Rivière. Sur ce projet, la mairie a insisté pour qu’une partie des vastes structures soit préservée. La Grande Halle, côté canal, accueillera un espace de restauration de 2 000 m², des salles de sport et de loisirs ou encore l’Académie musicale Philippe Jaroussky.
« En 2001, je ne connaissais rien à l’architecture, mais je me suis vite passionné pour cette discipline en tant que solution pour assurer un lien entre mes concitoyens, maintenir une mixité sociale, attirer les entreprises et réunir les différents quartiers de la ville », avoue dans un sourire Bertrand Kern, qui a obtenu en 2017 le grand prix du jury du Maire bâtisseur.